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Alors Ivan-tsariévitch
promit au tsar Afrone de lui obtenir la reine Hélène la
Belle et il sortit du palais en versant des larmes amères. Il
revint vers le loup gris à qui il raconta tout.
« Voyons, jeune Ivan-tsariévitch ! dit le loup gris. Que ne m'as-tu
obéi, qu'es-tu allé prendre la bride d'or ? - Pardonne-moi ! -
Allons, qu'il en soit ainsi, continua le loup gris. Monte sur mon dos, je te
conduirai où il faut aller ! "
Ivan-tsariévitch monta. Le loup se mit a courir aussi vite qu'une flèche
et il fut bientôt rendu dans le royaume de la reine Hélène
la Belle. Parvenu à la grille d'or qui entourait un jardin merveilleux,
le loup dit au vaillant gaillard : « A présent descends et reprends
la route par laquelle nous sommes venus. Tu m'attendras sous le chêne qui
verdoie au milieu de la plaine ! " Ivan-tsariévitch obéit.
Quant au loup gris, il se tapit près de la grille d'or et se mit à guetter
le passage de la reine Hélène la Belle. Vers le soir, comme le
soleil déclinait à l'horizon et que la chaleur du jour était
tombée, la reine Hélène la Belle gagna le jardin pour s'y
reposer avec ses servantes et ses dames de la cour. Elle entre dans le jardin
et s'approche de l'endroit où le loup était tapi. Soudain, le loup
fait un bond par-dessus la grille, s'empare de la reine, refranchit la grille
d'un autre bond et s'enfuit aussi vite qu'il le peut. Revenu au chêne où l'attendait
Ivan-tsariévitch, il dit à celui-ci : « Monte vite ! » Le
jeune homme obéit et le loup gris les emporta tous deux vers le royaume
du tsar Afrone. Les servantes et toutes les dames de la cour, qui se promenaient
dans le jardin avec la reine, coururent aussi vite qu'elles le purent jusqu'au
palais et dépêchèrent des cavaliers à la poursuite
du loup gris. Mais ceux-ci eurent beau faire, ils ne purent le rattraper et durent
revenir sur leurs pas.
Monté sur le loup gris auprès d'Hélene la Belle, Ivan-tsariévitch
se mit à aimer celle-ci de toute son âme et elle en fit autant de
son côté. Aussi, quand le loup gris eut regagné le royaume
du tsar Afrone et qu'Ivan-isarievitch dut conduire la belle reine au tsar, il
en fut si chagriné qu'il ne put retenir ses larmes. Le loup gris le questionna
: « Pourquoi pleures-tu, Ivan-tsariévitch ? » Alors le jeune
homme lui parla ainsi : " C'est qu'il y a bien de quoi, loup gris, mon ami
! J'aime de toute mon âme la reine Hélène la Belle ; or je
dois la donner au tsar Afrone contre le cheval à la crinière d'or.
Sinon, je me verrai déshonoré à travers tous les pays !
- Je t'ai déjà beaucoup servi, lvan-tsariévitch, dit le
loup gris, mais allons, je vois qu'il faut encore que je te serve ! Écoute,
je vais me transformer en Hélène la Belle, tu me conduiras au tsar
Afrone et prendras en échange de moi le cheval à la crinière
d'or. Quand tu seras monté sur le cheval et parti déjà très
loin, je demanderai au tsar la permission d'aller me promener dans la vaste plaine.
Et lorsqu'il me l'aura donnée et que je m'y serai rendu avec les servantes
et toutes les dames de la cour, alors il suffira que tu te souviennes de moi
pour qu'aussitôt apparaisse à tes côtés ! "
Le loup gris frappa la terre humide, se transforma à s'y méprendre
en la reine Hélène la Belle. Ivan-tsariévitch le conduisit
au tsar Afrone, après avoir demandé à la vraie reine de
l'attendre hors de la ville. A la vue du jeune homme accompagné d'Hélène
la Belle, le tsar se réjouit grandement. Il accueillit la fausse reine
et donna à lvan-tsariévitch le cheval à la crinière
d'or. Monté sur le cheval, le vaillant gaillard ressortit de la ville,
prit en croupe Hélène la Belle et partit en direction du royaume
du tsar Dalmate. Le loup gris demeura auprès du tsar Afrone un jour, un
autre et un troisième, en qualité de reine Hélène
la Belle. Le quatrième jour, il pria le tsar Afrone de le laisser se promener
dans la vaste plaine pour dissiper son chagrin amer. Et le tsar Afrone dit ceci
: « Oh, ma chère reine Hélène ! Il n'est rien que
je ne tasse pour toi, va donc te promener dans la vaste plaine ! » Et,
sur-le-champ, il commanda à toutes les servantes et dames de la cour de
l'accompagner.
Entre temps, lvan-tsariévitch galopait avec Hélène
la Belle, devisant agréablement avec elle, et il semblait avoir
complètement oublié le loup gris. Tout à coup, il
se souvint : « Mais où donc est mon loup gris ? » Brusquement,
on ne sait d'où, le loup surgit et dit : Monte sur mon dos, Ivan-tsariévitch,
et laisse le cheval à Hélène la Belle ! » Ainsi
firent-ils et ils gagnèrent le royaume du tsar Dalmate. Peu avant
d'arriver, Ivan-tsariévitch pria le loup gris en ces termes : « Écoute,
loup gris, mon cher ami ! Tu m'as rendu déjà beaucoup de
services, rends-m'en encore un, le dernier : ne peux-tu te transformer
en cheval à la crinière d'or et prendre sa place, car je
ne voudrais pas m'en séparer ? » Le loup gris frappa la
terre humide et devint cheval à la crinière d'or. Ivan-tsariévitch,
laissant Hélène la Belle dans la verte prairie, l'enfourcha
et pénétra dans le palais du tsar Dalmate. A la vue du
jeune homme monté sur le cheval à la crinière d'or,
le tsar Dalmate se réjouit grandement, il vint accueillir le tsariévitch
dans la cour d'honneur, l'embrassa sur ses lèvres de miel, le
prit par la main droite et l'introduisit dans son palais de pierre blanche.
Pour fêter son invité, il donna un grand festin et l'on prit
place à la table de chêne, couverte d'une nappe brodée.
On but, on mangea, on s'amusa deux jours entiers et, le troisième,
le tsar Dalmate remit à Ivan-tsariévitch l'oiselle de feu dans
sa cage d'or. Le tsariévitch prit l'oiselle, quitta la ville, remonta
sur le cheval à la crinière d'or aux côtés de
la reine et tous deux s'en furent. Le lendemain, le tsar Dalmate voulut faire
galoper son cheval à travers la vaste plaine. Il le fit seller, l'enfourcha
et partit. A peine le cheval fut-il lancé au galop qu'il désarçonna
le tsar Dalmate et, redevenu loup gris, il fonça et rejoignit lvan-tsarièvitch. " Monte
sur mon dos, Ivan-tsariévitch, dit-il, et laisse à Hélène
la Belle le cheval à la crinière d'or ! » Ils chevauchèrent
et atteignirent l'endroit où le loup avait dévoré le
premier cheval d'Ivan-tsariévitch. Une fois là, le loup gris
se mit à parler ainsi : " Eh bien voilà, Ivan-tsariévitch,
je t'ai servi en toute loyauté et fidélité. Nous voici
rendus au lieu même où j'avais dévoré ton cheval.
Descends de mon dos, tu as a présent un cheval à la crinière
d'or qui te conduira où bon te semble. Désormais, nos chemins
se séparent ! » Sur ces paroles, le loup gris s'en fut. Ivan-tsariévitch
pleura amèrement puis il reprit la route en compagnie de la belle
reine.
Le temps passa-t-il vite ou non, toujours est-il qu'ils n'étaient
plus qu'à cinq lieues du royaume du tsar Vyslav lorsque, descendant
de cheval, le tsariévitch et la reine s'allongèrent à l'ombre
d'un arbre pour attendre la fraîcheur du soir. Ils avaient attaché à l'arbre
le cheval à la crinière d'or et posé à côte
d'eux la cage avec l'oiselle de feu. Couchés dans l'herbe tendre et
tenant de doux propos, ils s'endormirent profondément. Or, en ce moment,
les frères d'Ivan-tsariévitch, Dimitri et Vassili, qui avaient
voyagé à travers maint pays à la recherche de l'oiselle
de feu, retournaient dans leur patrie les mains vides. Par le plus grand
des hasards, ils vinrent à passer près de l'arbre où dormaient
Ivan-tsariévitch et Hélène la Belle. Avisant tout près
d'eux le cheval à la crinière d'or et l'oiselle de feu dans
la cage d'or, ils furent saisis d'une idée mauvaise, celle de tuer
leur benjamin afin de s'emparer de ses trésors. Le tsariévitch
Dimitri sortit son épée du fourreau, transperça son
jeune frère et le coupa en morceaux. Puis il réveilla la reine
Hélène la Belle et la questionna ainsi : " Dis-nous, belle
fille, de quel État es-tu, de quel père, et quel est ton nom
? » Voyant Ivan-tsariévitch mort, Hélène la Belle
eut très peur, elle se mit à pleurer amèrement et dit à travers
ses larmes : « Je suis la reine Hélène la Belle et celui
qui m'a obtenue, c'est Ivan-tsariévitch que vous avez traitreusement
tué. Eussiez-vous été des chevaliers dignes de ce nom
que vous l'eussiez réveillé pour le combattre armes en mains,
mais vous l'avez tué cependant qu'il dormait, quelle gloire y a-t-il à cela
? Un homme qui dort n'est-il pas semblable à un mort ? » Alors,
le tsariévitch Dimitri appuya la pointe de son épée
sur le cœur d'Hélène la Belle : « Écoute,
Hélène la Belle ! Tu es à présent entre nos mains
! Nous allons te conduire à notre père, le tsar Vyslav. Ou
tu lui dis que c'est nous qui vous avons obtenus, toi, l'oiselle de feu et
le cheval à la crinière d'or, ou bien te te livre sur-le-champ à une
mort cruelle ! » Effrayée, la reine Hélène la
Belle leur promit de faire ce qu'ils voudraient. Alors, les frères
aînés tirèrent au sort pour savoir à qui serait
la reine et à qui le cheval. La reine échut à Vassili
et le cheval à Dimitri. Le tsariévitch Vassili prit la reine
en croupe tandis que le tsariévitch Dimitri enfourchait le cheval à la
crinière d'or et prenait l'oiselle de feu pour la remettre à son
père, le tsar Vvslav. Et ils se mirent en route.
Ivan- tsariévitch resta mort trente jours tout juste, jusqu'au
moment où survint le loup gris qui, s'approchant du jeune homme,
le reconnut a son odeur. Il l'aurait bien ressuscité, mais il
ne savait comment s'y prendre. Tout à coup, il avisa un corbeau
avec ses deux petits qui tournaient au-dessus du corps, prêts à descendre
pour picorer les chairs. Le loup se cacha derrière un buisson
et dès que les oiseaux se posèrent, il bondit,
attrapa un des petits et fit mine de le déchirer. Alors le corbeau
l'implora : -
« Ô toi, loup gris, laisse mon petit ! Il ne t'a rien fait ! - Écoute,
Corbeau du Corbeau, dit le loup gris, je ne toucherai pas à ton petit
et tu le retrouveras sain et sauf si tu me rends le service que voici : va par-delà trois
lois neuf pays, dans le trois fois dixième royaume et rapporte-moi l'eau
de mort et l'eau de vie ! » Corbeau du Corbeau répondit : « Je
le ferai, mais ne va pas toucher à mon fils ! »
Sur ces mots, le corbeau s'envola. Deux jours plus tard, il rapportait deux
vessies, l'une remplie d'eau de vie et l'autre d'eau de mort. Le loup gris
les prit, aspergea Ivan-tsariévitch d'eau de mort et le corps se recomposa,
l'aspergea d'eau de vie et le vaillant gaillard se leva en disant :
" Ouf, comme j'ai dormi longtemps ! - Sans moi, tu dormais éternellement,
Ivan-tsarièvitch ! Car tes frères t'ont dépecé et
ils ont emporté Hélène la Belle, le cheval à la crinière
d'or et l'oiselle de feu. A présent, hâte-toi de retourner chez
toi. Car aujourd'hui même, ton frère, le tsariévitch Vassili, épouse
ta fiancée. Et pour aller plus vite, monte sur mon dos, je t'y aurai vite
conduit ! »
Ivan-tsariéviteh monta sur le loup gris. Celui-ci fonça vers
le royaume du tsar Vvslav et l'atteignit bien vite. Ivan-tsariévitch
entre dans le palais où il trouve, en train de festoyer, les fiancés,
de retour de l'église. Dés qu'Hélène la Belle l'aperçut,
elle bondit, courut à lui, se mit a l'embrasser sur ses lèvres
de miel et s'écria : " C'est lui, mon fiancé, ce n'est pas
ce malfaiteur qui est assis à mes côtés ! » Alors
le tsar Vyslav se leva et il demanda à la reine Hélène
la Belle de s'expliquer. Hélène la Belle lui raconta tout ce
qui s'était réellement passé : que c'était Ivan-tsariévitch
qui l'avait obtenue et qu'il avait obtenu aussi le cheval à la crinière
d'or et l'oiselle de feu ; que ses frères aînés l'avaient
dépecé, lui, et l'avaient effrayée, elle, pour qu'elle
ne dise mot. Le tsar Vyslav se mit en colère contre les tsariévitchs
Dimitri et Vassili et il les fit jeter en prison. Ivan-tsariéviteh épousa
la reine Hélène la Belle et se mit à vivre avec elle dans
l'amour le plus parfait. |
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