moulin à café

LIE TSEU (LIEZI)

Traite du vide parfait  

Présages célextes (extrait)


"Admirable était la conception de la mort chez les Anciens : elle apporte le repos aux généreux, la soumission aux autres ", disait Yanzi. La mort c'est la manifestation de l'Efficace. Les Anciens appelaient les morts " ceux qui sont rentrés ", ce qui signifie que les vivants sont des voyageurs. Voyager sans savoir rentrer, c'est être sans domicile. Une personne sans domicile est réprouvé par tous. L'humanité est sans domicile mais n'est pas réprouvé. Quel genre d'homme est celui qui quitte son pays, abandonne sa famille, dilapide son patrimoine, vagabonde aux quatre coins du monde sans rentrer chez lui ? Chacun est obligé de dire qu'il est insensé. Et quel genre d'homme est celui qui prend le monde au sérieux, qui tente de s'améliorer, soigne son renom, se fait valoir, ne sait s'arrêter ? Chacun est obligé de le tenir pour sage et de bon conseil. Les deux sont égarés, bien que le monde entier approuve l'un et réprouve l'autre. Seule une personne avisée sait ce qu'il en est.

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Yu Xiong dit : "Les cycles ne cessent jamais. Qui perçoit les changements cachés de l'univers ? En effets, ce qui diminue là augmente ici, ce qui se développe ici décline là. Diminution, augmentation, développement, déclin se succèdent sans fin jusqu'à la mort. Qui perçoit leurs apparitions et disparitions liées par des transitions imperceptibles ? Nul souffle n'augmente d'un coup, nulle forme ne dépérit d'un coup. C'est pourquoi on ne perçoit ni leur développement ni leur dépérissement. Ainsi, de sa naissance à sa mort, une personne change d'aspect, d'allure. Il n'est pas de jour sans que sa peau, ses ongles et ses cheveux poussent et tombent. Les changements se succèdent même chez les bébés. Les transitions sont imperceptibles, on ne les constate qu'une fois accomplies.

Un Qiais craignait que l'univers ne fût détruit, se sentait en danger au point d'en perdre appétit et sommeil. Un autre, que les craintes du premier inquiétaient, alla le raisonner :
" Le ciel n'est qu'une accumulation d'air. Il n'existe aucun endroit sans air. Nous, qui respirons régulièrement cet air, évoluerons sans cesse sous le ciel jusqu'à notre dernier jour. Pourquoi craindre cette destruction ?
— Si le ciel est une accumulation d'air, les étoiles, la Lune et le Soleil ne risquent-ils pas de tomber ?
— Les étoiles, la Lune et le Soleil, lumières dans cette accumulation d'air, ne sauraient créer de dommages par une simple chute.
— Et si la Terre était détruite ?
— La Terre n'est qu'une accumulation de mottes qui bouchent des vides aux quatre directions. Il n'existe aucun endroit sans motte. Nous qui marchons en foulant le sol évoluerons sans cesse sur la terre jusqu'à notre dernier jour. Pourquoi craindre cette destruction ? "
Le Qiais fut rassuré, en conçut une grande joie. Celui qui l'avais rassuré en conçut aussi une grande joie. Ayant entendu cette anecdote, Chang Luzi rit et dit :
" Arcs-en-ciel, nuages, brouillards, vents, pluies et saisons sont des accumulations d'air dans le ciel. Montagnes, fleuves, mers, métaux, pierres, feu et bois sont des accumulations de corps sur la terre. Le sachant, comment dire qu'il n'y aura pas destruction ? L'univers est un frêle objet au milieu du vide, le plus menu de tous. Il est difficile d'imaginer la fin ou l'épuisement de ces importants éléments difficiles à scruter comme à connaître. Cette inquiétude au sujet de la destruction est sensée à long terme. Dire qu'il n'y aura pas de destruction est inexact. L'univers ne peut pas ne pas être détruit, c'est-à-dire retourner à ses décombres. Comment les contemporains de pareil événement ne seraient-ils pas inquiets ?"
Ayant entendu ces propos, Liezi rit et dit :
" Dire que l'univers sera détruit est une erreur. Dire que l'univers ne le sera pas est une erreur. Je ne sais s'il le sera. Cependant, l'une et l'autre affirmation sont identiques. Les vivants ne connaissent pas la mort, les morts ne connaissent pas la vie, le futur ne connaît pas le passé, le passé ne connaît pas le futur. Pourquoi s'inquiéter d'une éventuelle destruction ?

Shun : Put-on atteindre la Voie et la garder ?
Zheng : Vous ne pouvez garder votre corps, comment pourriez-vous garder la Voie ?
Shun : À qui est donc mon corps, s'il n'est pas à moi ?
Zheng : C'est une forme qui vous est fournie par le Ciel et la Terre. La vie ne vous appartient pas : c'est une harmonie qui vous est fournie par le Ciel et la Terre. La nature ne vous appartient pas : elle vous est fournie par l'univers. Vos descendants ne vous appartiennet pas : ils ne sont que mues confiés par l'univers. C'est pourquoi vous marchez sans savoir où vous allez, vous vous arrêtez sans savoir où vous restez, vous manger sans connaître les saveurs. Telle est la force du souffle Yang de l'univers. Comment pourriez-vous posséder quelque chose ?

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(Traduit du chinois par Jean-Jacques Lafitte)